Le Passage du corps de cavalerie Sordet
Passage du corps de cavalerie Sordet
2 jours après l’invasion de la Belgique par l’Allemagne, la cavalerie du corps Général Sordet partant de Sedan, entre en Belgique par le sud vers la Semois. Ces régiments de cavaliers légers, de dragons et de cuirassiers traversent les campagnes en grande tenue, les cuirasses au vent afin de rassurer la population belge angoissée*.
Le général Sordet avait fait réquisitionner des véhicules automobiles de tourisme et les avait fait armer de mitrailleuses ; Ces véhicules ainsi équipés lui rendront de grands services lors de sa traversée en Belgique.
Grâce à des véhicules réquisitionnés, entre autres, 40 autobus de Paris, le 45e RI soutient de manière intermittente le Corps de cavalerie. Des groupes cyclistes de chasseurs à pied accompagnent aussi ces unités.
Son première objectif est de se diriger à Liège et créer la surprise en arrivant soutenir les belges et surprendre les allemands sur leur flanc. Cependant la mission est annulée à quelques kilomètres de Lièges et l’énorme cavalerie revient en marche arrière. Après des reconnaissances pendant 10 jours dans les régions de Han-sur-Lesse, Rochefort, Ciney, Beauraing, le corps de cavalerie remonte vers le nord-ouest avec pour objectif de chasser la cavalerie allemande qui sillonne la région et retarder l’avance de l’ennemi qui fonce entre Givet et Bruxelles. Passant par Hastière, Anthée, le Corps Sordet arrive dans la région de et Saint-Gérard, Mettet, Florennes le 15 août.
Cette armée de 12.000 hommes sera très éprouvée dans ces grands mouvements au travers du territoire belge sous une chaleur torride et par plusieurs embuscades et escarmouches avec l’ennemi. Les chevaux sont très fatigués par certains trajets de 80 à 100 km par jour.
*L’opération était également politique : La France venant secourir le peuple belge agressé. Le Général Mangin recommande ainsi aux troupes du 45e RI pour leur traversée en Belgique, de garder leur sang-froid afin de ne pas faire de victime civile, de ne réaliser aucune réquisition et de toujours payer les achats de main à la main.
Récit de Fleury-Lamure, correspondant de guerre français du Times en Belgique :
Fleury-Lamure correspondant du Times en Belgique |
Le16 août, le journaliste arrive à Mettet. S’il est accueilli dans un château par des officiers d’état-major avec une réserve courtoise, il est cependant mis sous surveillance par la gendarmerie. Le lendemain matin, il écrit :
« Je me levais tard, les dernières troupes françaises quittaient le village. Comme je l’avais promis je ne m’enquis pas de leur direction. Pendant que nous dormions, une patrouille de quatorze uhlans s’étaient aventurés jusqu’à l’entrée du village. Ils furent tous faits prisonniers. Je pus les voir passer au moment où on les emmenait à la gare : on les enferma dans un fourgon ; le train les emmena rapidement sur l’arrière des lignes. Un avion blindé français vint atterrir dans un champ près de la gare. Il fit quelques avaries. Très vite, il fut démonté et emmené sur un chariot spécial traîné par une auto où prit place l’officier.
Les femmes du village avaient garni l’auto de fleurs, elle partit dans une ovation.
J’entrai dans l’église ; des femmes priaient et pleuraient. Un service funèbre venait d’y être célébré en l’honneur des héros belges morts pour la patrie à Liège. Un homme de belle stature entra. Il avait des éperons mais un grand caoutchouc noir le couvrait entièrement. Il alla s’agenouiller près d’un pilier et plongea son visage dans ses mains gantées de noir. Je vis briller sur le petit calot qu’il tenait à la main les cinq galons d’un officier supérieur : ces Français venaient prier avant d’aller se battre…
Dehors, des autos passaient emmenant des officiers ; des grandes autos de livraison, où l’on pouvait lire les firmes des premières maisons de commerce de Paris, emportaient des soldats. Des autobus, en file indienne, roulaient, transportant, derrière des moustiquaires métalliques qui ont remplacés les vitres, d’énormes quartiers de viande en guise de voyageurs. Madeleine-Bastille entre Charleroi et Namur. Qui aurait rêvé de cela il y a seulement deux mois !»
Concernant l’avion observé à cette date, un détachement de 3 REP type K est envoyé à Namur sous les ordres du capitaine Capitel. Un appareil se brise à l’atterrissage à Mettet. Il s’agit peut-être de l’avion aperçu par le journaliste du Times.
Autobus réquisitionnés pour le corps de cavalerie Sordet afin d'acheminer le transport de soldats d'infanterie | Autobus réquisitionnés pour le RVF: le ravitaillement en viande fraîche |
Août 1914. Dragon descendant Fosses-la-Ville. |
Août 1914. Escadron de cavalerie légère en Entre-Sambre-et-Meuse |
Le curé Marion de Saint-Gérard décrit les différentes régiments de cavalerie :
« Il est arrivé à St Gérard plusieurs détachement de cavalerie française : Des dragons, des chasseurs d’Afrique et je pense aussi des hussards se dirigeant vers la Sambre.
Le curé de Maison St Gérard est impressionné par le passage d’une pareille armée:
« Dimanche 16 août, 500 dragons sont arrivés vers midi, ont logé puis sont parti du côté de Gembloux. Jeudi vendredi samedi matin, il est passé de 3000 à 4000 soldats sur la route de St Gérard à Fosses, mais sans s’arrêter ; ils allaient au combat ».
Souvenir de Léon Remy d’Oret lors du passage du corps de cavalerie Sordet, fils de l’instituteur Hilaire Remy :
« De mes yeux d’enfant, je revois très bien les cuirassiers qui traversèrent le village d’Oret, rutilants sous le soleil du mois d’août avec leurs casques et leurs cuirasses. Ces cavaliers se dirigeaient vers Farciennes et criaient à tue-tête « vive la Belgique », un officier qui avait logé chez nous dit à mon père « ils ne savent pas vers quoi ils vont, ils seront tous sacrifiés » et ce fut la vérité ! Je me revois aussi jouer avec un soldat qui m’expliqua qu’il avait un fils de mon âge, cet homme avait laissé son adresse, mais nous apprîmes qu’il fut tué aussi dans les combats.
Cuirassiers Français |
Léon Remy d'Oret, à droite |
Récit d’un soldat du 29e Dragon lors du passage du corps de cavalerie Sordet à Maison St-Gérard :
« Le 06 août le régiment quitte Reims et passe le frontière belge à Muno :
Après 17H00 de cheval avec casque et lance, carabine, sabre et paquetage complet, tantôt à travers la nuit, que rend plus désagréable, un brouillard glacé, tantôt sous un soleil équatorial qui nous grille, dans un tourbillon perpétuel de poussière, harcelé par une nuées de mouches et de taons qui s’abattent sur nous et suppliciés par la vue des cerisiers croulants de fruits qui bordent le chemin, nous approchons de la frontière….Nous progressons parmi les convois interminables, car toutes les voitures sont réquisitionnées : nous devons à chaque instant nous garer pour laisser passer des files d’autobus parisiens remplis de chasseurs et de fantassins et nous marchons entouré de la poussière fine que l’on respire avec l’air….Les avions nous suivent et nous précèdent, volant à tire d’aile vers l’Est…..
Le 15 août, bivouac à côté du village d’Anthée. On entend le canon de Dinant à 8 kilomètres. Les différents convois défilent, 16e, 22e, 9e, 28e, 32e dragons. Tout à coup nous restons frappés de stupeur en apercevant un bataillon du 33e de ligne ou plutôt ce qu’il reste du bataillon ; ils viennent de Dinant où les Français se sont battus comme des lions.
On part cantonner pour Florennes.
Le lendemain 16, à Maison-Saint-Gérard. La pluie et les orages rendent la marche difficile. Les chevaux et les hommes se fatiguent beaucoup.
Le 19 août, le 4e escadron est de reconnaissance, il arrive au soir à Gembloux où l’accueil de la population civile est triomphal. C’est la dernière étape, la pointe extrême du raid»
Le 15 août, les états-majors du corps Sordet sont installés comme suit :
L’E-M du Général Sordet est à Florennes, L’E-M de la 1ere division est à Mettet, celui de la 3e division à Laneffe. L’E-M de la 5e Division est à Florennes, sa 3e brigade est à Biesmerée, l’escadron d’artillerie divisionnaire est à Stave et l’E-M de la 5e brigade se trouve à Oret : le colonel Hennocque, du 5e chasseurs, passe la nuit au couvent des sœurs françaises.
Le lendemain, le corps de cavalerie Sordet se rassemble à hauteur du quatre bras de Stave et remonte légèrement au Nord sur Mettet-St Gérard-Fosses-Lesves.
L’escadrille Blériot de cavalerie N°5 à Saint-Gérard :
le 16 août 1914 à Saint-Gérard, le jeune René Paris qui habite avec ses parents, une ferme au lieu-dit « le Bâtiment » sur la route de Bossière est témoin d’une scène qui l’impressionne beaucoup
A ce moment, le corps de cavalerie Sordet se trouve à Saint-Gérard et voici que deux dragons viennent en éclaireur repérer les campagnes derrière la ferme. Peu de temps après un charroi composé d’un camion et remorque entouré de soldats s’approche, ces derniers déchargent un avion, les ailes de celui sont assemblées dans le champ et celui-ci s’envole sous les yeux émerveillé du garçon pour réaliser selon ce qu’on lui raconte une reconnaissance sur Dinant où l’on s’est battu la veille.
Ferme de René Paris au lieu-dit "le Bâtiment" |
Le capitaine de Marancourt |
Avion de type Blériot |
Ce témoignage est confirmé par les archives : René Paris croise l’escadrille Blériot de cavalerie n°5 (BLC.5) commandée par le capitaine Massenet de Marancour qui est attachée au corps de cavalerie Sordet.
Stationnée à Florenville deux jours plus tôt, l’escadrille était bien le 16 août « sur un terrain près de St-Gérard ». Ce jour-là le temps étant à la pluie, les avions étaient dans les remorques.
L’escadrille de reconnaissance était composée de trois pilotes et d’une vingtaine de mécaniciens. L’ensemble se déplaçait à l’aide de quatre véhicules tractant chacun une remorque « Godel » contenant un avion Blériot. Les ailes des avions étaient démontables. Le convoi pouvait en tout temps suivre le corps de cavalerie, quelques soit le temps. Il fallait 20 minutes aux mécaniciens pour monter l’avion qui pouvait décoller sur n’importe quel champ dégagé.
Le capitaine de l’escadrille qui accompagne le corps de cavalerie Sordet écrit :
« De nombreuses troupes de cavalerie ennemies étaient signalées autours de Namur et il importait de les bousculer. Le 16 nous continuons notre marche vers le nord et couchons à Saint Gérard. Le matin nous étions sur le champ de bataille de Ligny. »
Revue de l’Aviation Icare L’aéronautique de la Ve armée en août et septembre 1914
http://albindenis.free.fr/Site_escadrille/escadrilleBLC5.htm