Les tirailleurs algériens lors des combats d'août 1914

Les tirailleurs algériens lors des combats d'août 1914.

Dès le début des conquêtes coloniales françaises en Afrique du nord, les populations indigènes apparaissent comme une source d'effectifs militaires indispensables.

Les troupes indigènes furent tout d'abord appelées zouaves par les Français du nom d'une confédération kabyle, les "Zouaoua", entrée au service de la France peu après la prise d'Alger en 1830. Le recrutement des zouaves fut rapidement  ouvert aux colons européens d'Algérie.

Quelques années plus tard, les zouaves devinrent un corps à recrutement exclusivement français et trois bataillons de tirailleurs indigènes furent créés par l'ordonnance du 7 décembre 1841 pour accueillir les indigènes. Les premiers bataillons de tirailleurs algériens apparaissent ainsi en 1842 et servirent de force de souveraineté dans les territoires conquis. Des tirailleurs tunisiens seront intégrés aux tirailleurs algériens et porteront des numéros d'unités, multiple de quatre.

Uniforme des Zouaves Uniforme de Tirailleurs Algériens

Les unités de tirailleurs, recrutés parmi les indigènes, se différencient des unités de zouaves , à recrutement européen

Les régiments de tirailleurs algériens écrivirent pour l'armée française parmi les pages les plus glorieuses de son histoire . Ils participèrent à toutes les campagnes du second Empire et de la IIIe République. Pris pour des Turcs, c'est lors de la guerre de Crimée (1854-1855), qu'ils gagnèrent leur surnom de « turcos ». 

A la veille de la guerre de 1914, le constat de Charles Mangin est le suivant : l’Allemagne a soixante-cinq millions d’habitants et la France n’en compte que quarante, aussi elle n’a pas les moyens humains d’affronter une guerre avec son puissant voisin. Dès lors, pour équilibrer les deux forces d'armées actives, il n’y a que deux possibilités : augmenter la durée du service militaire (c’est la solution choisie en 1913 avec la loi de trois ans) ou bien faire appel aux indigènes des colonies. C'est ainsi que les Turcos après avoir déjà combattu en France en 1870, interviennent une seconde fois sur le front occidental en 1914.
Il faut néanmoins préciser que sur huit millions de soldats français, seuls 290.000 nord africains et 135.000 Sénégalais ont combattu dans les tranchées de France, par contre, ces régiments coloniaux feront partie des plus médaillés lors de la guerre 14-18

Dès le début du conflit, la France entretient la singularité de ces troupes musulmanes et européennes d’Afrique du Nord en mettant en avant leur côté atypique à travers les défilés et tenues orientales. La presse en fait  à la veille de la Grande Guerre, les symboles de la victoire.

Dès 1917, le mythe des turcos s’essouffle au profit des soldats noirs, notamment à travers l’image mythique du tirailleur sénégalais qui s’impose dans l’opinion.

Ci-dessus, contrairement à l'indication sur la carte postale, il s'agit bien de tirailleurs algériens. A l'époque, tout ce qui est coloré est noir!

S’il n’est pas interdit de penser que les tirailleurs maghrébins et sénégalais ont combattu avec leur culture de la guerre où l’usage de l’arme blanche et la mutilation rituelle de l’adversaire tiennent leur place, il est à noter que les caricatures françaises ont entretenu cette image terrible du Noir (Maghrébin ou Sénégalais, la caricature française ne fait pas plus de différence que les Allemands pour qui tout ce qui est coloré est noir) tenant un couteau entre les dents, portant sous le bras les têtes d’ennemis décapités ou encore se parant de colliers d’oreilles. 
Il fallut même que la censure intervienne pour interdire tel ou tel dessin qui justifiait, par sa violence, le bien-fondé des plaintes allemandes devant l’opinion publique mondiale

 

La peur des soldats coloniaux fut exploitée par le commandement français. Elle a été escomptée.

 Mangin lui-même qui écrit en 1910:

Leur arrivée sur le champ de bataille produira sur l'adversaire un effet moral considérable.

En effet les Allemands furent terrorisés par les Sénégalais et les Turcos ". Voilà les noirs" un avertissement terrible chez les soldats germaniques

En France, le Turcos véhiculera l'image du Noir "bouffeur de Boches, mais "grand enfant " et "brave tirailleur à la chéchia."
La publicité relaie cette image comme l'atteste une publicité de 1915, promise à un bel avenir. On y voit un tirailleur tout sourire vantant les mérites d’une boisson chocolatée en s'exclamant "y'a bon banania".

Portraits véhiculés par les tirailleurs africains dans l'imagerie populaire française

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Concernant les Turcos, certains témoignages nous apportent quelques détails dans leurs rôles du conflit d'août 1914. Il est clair qu'ils sont apeçus dans les témoignages comme des "simples" ou de bons sauvages au service de la France.
 

L'épisode du Turco franc-tireur (A.Ev.N) Fosses la Ville, le 23 août 1914.

Mr le Doyen a toujours considéré comme providentiel l'épisode suivant:

Vers 5H30, se disposant à aller dire la messe, après avoir parcouru les rues de la ville, Mr le Doyen jeta un coup d'oeil dans la maison qui fait le coin de la rue opposée à l'hôtel de ville, maison que Mr le Doyen avait toujours vue depuis son arrivée à Fosses avec les volets clos et qui avait servi de magasin aux soldats français.
Quelle ne fut pas la stupéfaction de Mr le Doyen d'y trouver couché sur des sacs, un turco. Mr le Doyen lui crie de venir; notre homme ne se dérange pas; finalement, nouveaux appels de Mr le Doyen et de Mr le Conseiller provincial Wéry, arrivé sur ces entrefaites.
Mr le Doyen explique au turco qu'il n'y a plus de soldats français à Fosses et qu'ils sont partis sur St-Gérard. Comme réponse, le Turco empoigne son fusil et montrant le chemin qui débouche de la place et qui vient précisément de la grand-route Tamines, Arsimont, Nevremont d'où vont arriver les troupes allemandes, il épaule le fusil en criant: "Allemands!" 
Le Doyen lui dit qu'il ne doit pas faire usage de ses armes, le Turco répond de nouveau en faisant le moulinet avec son fusil et en faisant le geste de l'attaque à la baïonnette et en criant toujours: "Allemands! Allemands"
Pour se débarrasser de ce défenseur inopportun, le doyen lui ordonne de repartir vers St-Gérard et lui donne une pièce de cinq francs. Le Turco sourit et remercie de la main. Mr le Doyen et Mr Wéry remontent vers l'église. Au sixième ou septième pas, un bruit métallique retentit; ces messieurs vont voir: le Turco fait sonner la pièce d'argent sur le pavement du trottoir: il veut savoir si elle est de bon aloi. Sur ce, Mr le Doyen l'empoigne par le bras, lui fait prendre son sac et son fusil et l'expédie, tel un enfant des écoles, vers la route de St-Gérard....
Sans cette curiosité de Mr le Doyen, notre brave Turco,
moins de deux heures après, allait foncer ou tirer sur les éclaireurs allemands et Fosses allait avoir la réputation d'être un repaire de francs-tireurs!

 

Comtesse Marie de Villermont, 26 aout 1914

Ces blessés sont pour la plupart des Turcos qui ne comprennent pas le français.

A Oret, les Tirailleurs Algériens et leurs officiers feront preuve d'un courage exemplaire lors des combats du 23 août et le lendemain 24 lorsqu'ils couvriront la retraite de l'armée française, tentant même, selon un témoignage, une contre-attaque éperdue devant Florennes.​

Le 23 août, les Tirailleurs chargent à la Baïonnette :

Les attaques allemandes se succèdent et les Hanovriens se déploient et attaquent férocement. Les combats sont acharnés et en première ligne, la situation des soldats français devient critique.
A droite de la route de Wagnée, les Allemands arrivent en force, « baïonnette au canon ». Face à ce flot ennemi, le lieutenant Gillot décide d’entraîner sa 5e  compagnie du 3e tirailleurs dans un combat au corps-à-corps : sortant de leurs retranchements, les Algériens descendent la vallée et chargent l’ennemi. Les baïonnettes s’entrechoquent où transpercent les corps.  Français et Allemands fonçant l’un vers l’autre, certains s’embrochent mutuellementleurs corps sans vie restant emmêlés, à moitié affalés

L’assaut est repoussé. Grièvement blessé, le lieutenant Gillot n’est pas abandonné par ses hommes qui le reconduisent sur leur position.

Les derniers officiers défendant Oret tombent héroïquement Cliquez

Le 3e tirailleurs algériens comprenant un bataillon du 7e tirailleurs se bat avec courage pour se retirer d’Oret. Ceux-ci sont hachés par les shrapnels qui pleuvent en tous sens. De nombreux officiers sont tués comme le chef du 3e bataillon Peyron, et celui du 4e bataillon, Bigotte. le capitaine Ferry, les lieutenants Gérôme, Kaudin et Bouzidi.
Les derniers soldats tombent en héros : Le lieutenant indigène Belfetmi blessé de quatre balles refuse d’abandonner son commandement et meurt frappé d’une cinquième, les derniers tirailleurs se regroupent autour du capitaine Lalande et du sous-lieutenant Roux de la 15e compagnie. Roux s’écroule, frappé mortellement par un éclat d’obus. Le capitaine Lalande est blessé mais refuse de se rendre et meurt face à l’ennemi.
Ces derniers soldats valeureux et d’autres embusqués dans le village pour mener un combat à mort dans les rues et maisons font le sacrifice de leur vie pour sauver leurs frères d’armes. Ainsi selon les anciens un tirailleur algérien était embusqué dans l'école des garçons et du soupirail, abattait les Allemands se dirigeant sur le pont. Il n'y eut certainement pas de quartier pour ces soldats.
Le Capitaine  Lalande tué à Oret le 24 août
 
Récit du soldat Falque qui trouve dans une colonne de prisonniers qui se dirige sur Mettet. A la sortie de Florennes, il est témoin d’un spectacle poignant :

« Nous fûmes dirigés sur Mettet, la nuit tombait et notre chemin était éclairé par des fermes qui brûlaient. A la sortie de Florennes, nous vîmes assez bien de cadavres de tirailleurs tombés par paquets de 5 ou 6. J’ai su plus tard qu’ils avaient chargé à la baïonnette sur les batteries allemandes mais ce geste héroïque n’avait pu s’accomplir en entier. Les sentinelles qui nous encadraient nous montraient en riant nos camarades morts.

Capitaine Verbier du 2e régiment des tirailleurs algériens, tué à Florennes le 24 août 1914.

Cimetière d'Ermeton-sur-Biert: souvenir hétéroclite du passage des tirailleurs algériens dans notre commune. Contre le mur d'enceinte, une ancienne pierre tombale d'un soldat algérien qui probablement, fut en son temps enterré dans le cimetière de la commune. Tous ces combattants sont inhumés aujourd'hui au cimetière militaire de la Belle-Motte".

Lien vers l'article: Cimetière de la Belle-Motte ​       Cliquez

 

En septembre 1914, il sera à déplorer des exécutions sommaires  concernant ces tirailleurs indigènes....

Le Général Blanc (qui commandait la 73e brigade à Mettet quelques semaines plus tôt)

J’ai tué de ma main douze fuyards,  et ces exemples n’ont pas suffi à faire cesser l’abandon du champ de bataille.

Pendant la bataille de l’Yser, le général de Bazelaire fit fusiller six tirailleurs tirés au sort dans une compagnie qui avait refusé de marcher 1*.

Du côté de Quennevières, le 23 septembre 1914, le commandement de la brigade s’oppose aussi par les armes à la débandade du 6e Tirailleurs : " Les tirailleurs du 6e régiment qui comprennent de nombreux jeunes soldats reçus quelques jours avant se débandent et lâchent pied" . Le général de brigade et son état-major mettent révolver au poing et forcent leur obéissance " mais les indigènes n’écoutant plus que leur instinct de conservation, pareils à des bêtes forcées, s’empressent de fuir dès que les officiers s’écartent pour rejoindre d’autres groupes" (sic) 2*. »

1*. Charles-Robert Ageron, Histoire de l’Algérie contemporaine. Vendôme, 1979, p. 256.
2*. Service historique de l’armée de terre 26 N 517, J.M.O. 73‘ brigade.

 

Après l'armistice, les Alliés occuperont la rive gauche du Rhin. Les troupes coloniales françaises seront utilisées dans le cadre de cette occupation de la Rhénanie. Cela sera vécu comme une profonde humiliation par les Allemands. La présence de soldats et de jeunes femmes veuves entraînera l'apparition de bébés métis. l'Allemagne accusera à tort les soldats africains de commettre des viols, il était à l'époque impossible d'admettre  qu'une allemande puisse avoir des rapports  consentis avec un Noir.

Quelques années plus tard, le gouvernement raciste hitlérien fera stériliser quelque 500 enfants métis nés de femmes allemandes avec des militaires africains. Ces enfants étaient désignés à l'époque par les Allemands comme les " bâtards de Rhénanie ".

Soldat colonial photographié en compagnie de deux femmes allemandes en 1919 .

 

 

http://www.reseau-canope.fr/pour-memoire/les-fusilles-de-la-grande-guerr...

http://aureschaouia.free.fr/telecharg/aures-insurrection-1916.pdf

http://www.revue-quasimodo.org/PDFs/8%20-%20LeNaourHonteNoire.pdf

 

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