Page 1 : Quelques jours avant la bataille du 23 août

 

On peut définir la bataille de Saint Gérard comme un ensemble de combats qui eurent lieu le dimanche 23 août à l’est de Mettet sur le territoire des hameaux et des communes de Sart St Laurent, Plançon/Bossière, Maison-St-Gérard, Gonoy, Saint-Gérard, Graux et  Denée.
Ces combats vont commencer à 5H00 du matin pour se terminer à la pointe du jour du lendemain 24 août.

 

La géographie du terrain :


Pour comprendre le déroulement de la bataille de St Gérard, il y a lieu de se représenter la nature géographique du terrain.
Face au nord de St Gérard (220m) s’étendent successivement deux larges plaines.
La première s’étend sur 2 Km et aboutit sur la crête des hameaux de Maison et du Gonoy (255m). Là sur la position la plus élevée, de Maison jusque Lesves sinue un chemin de campagnes où se dressent 3 grosses fermes qui dominent la crête : les fermes de Libenne(260m)., d’Hérende et des Volées : ces fermes sur des points culminants,  seront au centre de la bataille.

Vue sur la plaine entre Saint-Gérard et Maison-Saint-Gérard / Gonoy 
La ferme Libenne Tel un fort, La ferme Libenne se dresse à 260 m dans la plaine

Plus au nord encore, la seconde plaine, plus boisée où se situe Bambois, le plateau de la Marlagne, les Neuves Censes, et la Folies d’Auvelais et qui aboutit à Fosses-la-Ville (180m),
Les Français occupent la crête, soit la route de Maison à Lesves. Plus au nord ils occupent Sart-St Laurent et Floreffe où se trouve la 2e brigade, dite « Sauret » du nom de son général.
Le village de St Gérard est une position stratégique, un carrefour important protégeant la route de Rouillon.

Ferme "d'Hérende" ou "d'Hérante" sur la route Gonoy / Lesves  A l'aube du 23 août, les Allemands arrivent à Fosses-la-Ville

Une victoire stratégique allemande incontestable :


La bataille de Saint Gérard est essentiellement un combat d’artillerie. Les tués et les blessés le seront pour la plupart par les obus explosifs et les shrapnels. Les français sont arrosés d’obus sur des positions qu’ils ont eu à peine le temps d’aménager : Le 43e RI prend position à 6H00 au nord-est de la ferme Libenne et est bombardé 2 heures plus tard. 
Même si les Allemands subissent des pertes sévères, la victoire leur revient. Leur artillerie aidée par des repérages de cavalerie et d’aviation aura une supériorité incontestable. A 14H30, le front français s’écroule. Suite à des salves d’obus bien ajustés et très meurtriers, les soldats quittent leurs tranchées de première ligne. Certaines unités se débandent dans la panique. L’infanterie allemande prend possession du terrain conquis.
En quelques heures, les Allemands ont réussi à inverser la situation. Le matin, ils voyaient leur flanc gauche découvert et menacé au point que le 1er corps prépare une contre-offensive. Dans l’après-midi, les régiments du corps de la Garde défoncent les unités françaises qui se débandent. Dans la soirée, ils sont en mesure d’attaquer le flanc droit du 10e corps : Heureusement pour les Français, la nuit tombe. Néanmoins, la 73e brigade et le 15e RAC qui se trouve au sud de Mettet et vers Furnaux sont attaqués. Des détachements allemands semant même la panique jusqu’à Stave : le 41e RI (19e division) évacue vers le sud.
Lors de ces combats, si les différentes brigades du 1er corps ont eu le mérite d’avoir rétrogradé en bon ordre vers le sud, elles laissent le 10e corps dans une très mauvaise posture. Que dire concernant les troupes belges qui retraitent de la position de Namur vers Bioul : la route de Rouillon n’est plus utilisable pour le repli. Il reste juste un chemin qui dévale vers le sud à Maredsous. Par cette action de force, on estime que les Allemands ont réussi à ralentir de 12H00 heure l’évacuation des soldats belges. Complétement encerclés à Bioul, leur retraite se termine le 24 par la reddition : Abandonnés par leurs officiers supérieurs, des milliers de soldats belges sont fait prisonniers. C’est une page noire de l’histoire que notre armée préférera oublier.

 

Avant d’analyser le déroulement des combats du 23, revenons quelques jours en arrière dans la région de St Gérard 


 

Maison St Gérard, suivant le témoignage du curé du hameau: 

« Les cloches ayant annoncé la violation du territoire et l’invasion allemande, la population civile fut très effrayée. A partir du 4 août, le curé de Maison a récité le chapelet, le soir à l’église afin d’implorer le secours de Dieu : pendant la première quinzaine, plus de 150 personnes assistaient aux offices. 
Le 15 août, presque toutes les personnes de la paroisse assistèrent à la procession sous le son du canon qui tonnait à Dinant. »

Le curé de la paroisse annonca, en chaire, ce jour-là qu’il était strictement défendu de se servir d’armes à feu contre les soldats allemands.

Première présence de l’ennemi dans nos campagnes selon le récit d'un témoin résidant au château de Beauchène, entre Ermeton et Sosoye:

« 06 août, les premiers aéroplanes allemands font leur apparition au-dessus de Beauchène. »
« Mardi 11 août : les premières troupes françaises font leur apparition dans nos environs. »
« 14 août, Les aéroplanes allemands, si  reconnaissables à leur queue en cœur sont plus nombreux que jamais, mais ils se maintiennent à grande hauteur et restent ainsi hors de portée de la fusillade enragée avec laquelle les français les accueillent ! » 

 

Les premiers passages des troupes françaises à St Gérard : 


Saint-Gérard est le passage obligé pour une grande partie des troupes françaises dans la région. C’est un carrefour stratégique avant Namur et la Meuse.
Le 16 août, de nombreux régiments de la cavalerie Sordet cantonnent ou passent dans localité.
Suivant les Journaux de marche, on retiendra : les 9e, 16e, 22e, 23e et 27e dragons, le 5e et le 15e chasseurs. Les soldats du 45e RI accompagnent la cavalerie dans 3 convois d’autobus  et cantonnent à Bioul.  
« Un de ces détachements venait de Châlons-sur-Marne et avait parcouru le Luxembourg. Un officier dit au curé qu’ils avaient été jusqu’Aywaille » 

 

Le passage du corps de cavalerie Sordet

Cliquez sur l'image pour lire l'article

 

Réçit d'un témoin au château de Beauchêne, entre Ermeton et Biert-l’Abbé :

« Mardi 18 août, le va et vient continuel des troupes françaises se poursuit. Les zouaves, très crâne ont leur petit succès de curiosité. Tous les hommes grillent des cigarettes, le tabac est si bon marché en Belgique. Puis 132 autos, et des poids-lourds, ronflant comme des monstres, passent en file indienne faisant trembler le sol. Dans chaque bus, 40 hommes avec équipement et fusil entre les jambes, les havresacs attachés dessus où sur les côtés de la voiture. Sur l’un des autobus, en grandes lettres « Madeleine-Bastille » ; c’est la vision  du grand Paris qui passe ».

Arrivée d'un régiment français dans un village belge Les premiers français en Belgique

 

L’abbé Marion concernant les jours qui précédèrent la bataille :

 

Le 19 [et le 20], arriva le 48e régiment d’infanterie de Guingamp de Bretagne qui passa la nuit à St-Gérard. Le Colonel de Flotte passa la nuit chez Morimont .

Le 20, ce régiment partait pour la Sambre et se battit à Arsimont le 21 et 22. Le Colonel y fut tué. 

Le 22 au soir, Ils revinrent à St Gérard, ayant perdu, selon le curé, 2.000 sur 2.800, du moins, 800 hommes seulement revenaient à St Gérard. (il devait y en avoir encore dans d’autres villages). 2 officiers revinrent chez le curé, disant qu’ils étaient les seuls sur les 12 que le curé avait logés, qu’on les avait fait charger à  1200 mètres de distance.
La même semaine, le 2e zouaves et le 2e RTA étaient passés également à St Gérard pour se rendre à la bataille de la Sambre. 
Des débris de ces régiments revinrent le 22 pour se reposer à St Gérard. Beaucoup de blessés y furent amenés ; au château Morimont, chez Mme Martin, à l’école et surtout au couvent de la Visitation. 

  Au château Morimont où se trouvaient 200 soldats grièvement blessés (et pas de médecins ni d’infirmiers les premiers jours), les soldats et officiers se plaignaient (surtout des régiments d’Afrique) qu’on les eu fait charger de beaucoup trop loin et sur des endroits garnis de mitrailleuses « un ordre stupide ». D’autres qui se trouvaient dans le bois d’Ham-sur-Sambre, avaient été surpris par les Allemands et mitraillés.
Ces braves gens avaient fait preuve d’une grande ardeur guerrière et conservaient un moral excellent. Il y avait cependant un petit nombre, surtout des officiers  qui étaient très affectés des fortes pertes de leurs unités. »

Le Colonel de Flotte commandant du 48e régiment

Charles de Salles de Hys, chef du 2e bataillon du 48e RI

Le Château Morimont où fut accueilli le Colonel de Flotte, commandant le 48e régiment d'infanterie

Le Lieutenant Peiffer écrira sa dernière lettre à St Gérard.

Il sera tué à Ham-sur-Sambre le 22 août 1914 

Cliquez sur l'image pour découvrir la "fiche personnage"

 

Château de Mme Martin Couvent de la Visitation (Abbaye de Brogne)

 

Du château du Beauchêne on assiste à la montée du 1er corps vers le front qui se trouvera au nord de St Gérard. Voici une description très intéressante des troupes en bivouac avant la nuit

« Samedi 22, nous voyons maintenant tout le versant de la vallée, au fond de laquelle se cache le village d’Ermeton, couvert de troupes françaises. Les régiments d’infanterie sont là, plaqués dans l’avoine, en partie coupée, depuis la ligne de chemin de fer, jusqu’à la crête, près des carrières de Denée ; tout en haut mais cependant encore un peu en arrière de la ligne de faîte pour se dissimuler. Il y a pas mal d’artillerie attelée mais pas encore en batterie. Toujours là-bas, dans le lointain encore le fracas du canon, tantôt plus fort, tantôt plus atténué. En examinant attentivement à la lorgnette toutes ces troupes en alerte sur le versant, nous distinguons fort bien les fourneaux de campagne qui fonctionnent et les chevaux des pièces de canon qu’on a finalement dételés.
Dimanche 23, aussitôt réveillé, je cours à  ma fenêtre : plus rien ! Là en face, les masses d’infanterie ont disparu, les canons envolés. Il ne reste que quelques tirailleurs et quelques cavaliers qui galopent sur la plaine ensoleillée. »  

Château Beauchène dans le hameau de Biert-le-Roi, au sud-est d'Ermeton-sur-Biert Un bivouac de troupes françaises à Beaumont, comme on dû le voir du perron du château de Beauchène. (58e RAC du 18e corps le long de la Hantes près de la Chapelle St-Julien )

De son côté l’abbé Quinet curé de Maison assiste à la retraite de la 19e division et de la 73e brigade d’Afrique :

Samedi 22 : « Nous avons assisté à la retraite des soldats français qui passaient dans le village et dans les campagnes, un peu en débandade et dans un silence le plus complet. Ils avaient subi des pertes sérieuses ; les Bretons et les Algériens disaient-ils, avaient été fort éprouvés ayant perdu un Colonel et beaucoup d’officiers. Ils étaient dans les bois de Ham-sur-Sambre lorsqu’ils furent surpris par les Allemands et fauchés par les mitrailleuses. Ils logèrent à St Gérard dans les maisons, sur les routes et dans les campagnes. »

 

Extrait du 2e régiment de marche de tirailleurs (73e brigade). Souvenir de guerre
Ancienne maison Bastide Jourdan. Jules Carbonnel Imprimerie libraire éditeur 1922 ALGER

Le 22, arrivée à St-Gérard pendant la nuit :
« La nuit est tombée. Péniblement les troupes s'écoulent à travers les rues de Saint-Gérard que doit momentanément occuper le 2e Tirailleurs ; mais l'encombrement est tel que nous bivouaquons autour du village. Tristement la nuit s'achève, dans l'angoisse de la première défaite. . . Au petit jour l'ordre arrive de nous replier sur Graux, et de maintenir ce village en état de défense. Un épais brouillard flotte dans l'air ; le canon s'est tu ; les bataillons, échelonnés dans la plaine au nord-est du village, creusent des tranchées. Déjà, dans le pays, beaucoup de maisons sont vides ; les derniers habitants, à notre venue ne comprennent que trop la gravité du moment : précipitamment ils rassemblent quelques hardes et s'enfuient, à leur tour en essuyant une larme... Triste spectacle qui nous étreint le cœur ! Maintenant c'est le silence, un silence de mort parmi cet abandon interrompu de temps à autre par le mugissement des bœufs délaissés dans les étables et que l’œil du maître ne surveille plus. Les heures s'écoulent dans une morne attente : les rayons du soleil ont dissipé la brume. A notre gauche, le canon tonne à nouveau . . . Des ordres ! . . . Le Régiment doit se porter au sud de Graux en position d'attente. Il est quinze heures. »

Tirailleurs algériens partant vers la Belgique en 1914

L’exode :


 

L’abbé de St Gérard  décrit l’arrivée des réfugiés:

« Dimanche matin surtout, les gens de la Sambre arrivaient annonçant les massacres de civils que le public ne croyait qu’à moitié. »

 

L’abbé Quinet:

« A Maison, tout le village était parti depuis le samedi soir, moi-même j’étais parti l’un des derniers et avais logé à St-Gérard. Il ne restait à Maison que 2 ou 3 familles, quelques vieillards, infirmes ou malades. On craignait la barbarie et la cruauté des Allemands. 

Récit de l’abbé Rigaux de Graux :

« 8 jours avant la bataille, le village avait logé un escadron de dragons français, mais il y avait des passages continuels de troupes françaises, artillerie, mitrailleuses, cavalerie, venant de Furnaux ou Ermeton et se dirigeaient vers St Gérard ou la Sambre.
Samedi Soir, Il y eut une foule de réfugiés de Tamines, Falisolle, etc. Dès le samedi mon presbytère est rempli de ces fuyards, l’école aussi et bien d’autres maisons. 
Dimanche  23 au matin, les turcos se retranchent dans le village. Un officier français conseille aux habitants de partir ; en cinq minutes, le village est désert. Ces gens se dirigent vers Ermeton, Flavion, Philippeville. Je me décide aussi à partir, car je renonce à rester seul au village. 

« Tous les habitants de Graux, sauf Mr Vandersnissen père, fermier et une infirme, sont partis fuyant l’invasion. A Bossière beaucoup de gens s’enfuient : un certain nombre reste trouvant refuge au château de Thomaz »
Ferme Vandersnissen

A 7H30, le curé de Graux quitte le village et se dirige vers Furnaux : 

Vers 7H30, je prends la route de Furnaux où j’arrive vers midi. Déjà, les routes sont encombrées de soldats en retraite. On avance lentement. Les gens se sauvent dans des chariots sur lesquels sont chargés des matelas, des coffres, des sacs d’avoine, des vivres. Des bêtes à cornes sont parfois liées aux attelages. Tous des gens enfiévrés, affolés et les yeux hagards.
On est obligé de marcher sur l’accotement, car la route doit rester libre pour l’armée : canons, caissons, munitions filent au grand galop soulevant des nuages de poussières. Quel spectacle triste, déprimant, indescriptible et nous allons vivre pendant plusieurs jours successifs dans cette fournaise agitée !
De Furnaux, nous regagnons immédiatement Ermeton, puis Flavion.
Avant d’arriver à Flavion, nous avons une alerte : nous distinguons les canons allemands qui tirent dans la direction d’Ermeton, de Furnaux ou plutôt nous voyons le feu de ces canons, or en ce moment la route est extraordinairement encombrée : il faut attendre. Nous nous sentons en danger. Peu à peu, la route se dégage. »  

L’abbé Rigaux est témoin de la tenaille allemande qui se referme :

« De Flavion dans la direction de Rosée, nouvelle alerte, on entend l’artillerie des deux côtés : vers la Sambre et vers Dinant. Il semblait que leurs feux se rapprochaient et que nous allions être cernés. » 

Exode des belges devant l'envahisseur Traversée des tirailleurs algériens à Fosses-la-Ville en août 1914

 

Page 2 : La Bataille (suite)

 

Sujet: